Me Guy Jourdain tire sa révérence

PROFIL Guy Jourdain

Titulaire d’un baccalauréat en droit civil de l’Université de Montréal, d’un baccalauréat en common law de l’Université du Manitoba, et membre du barreau du Manitoba et du Québec, Me Guy Jourdain a eu un parcours professionnel riche en expériences : traducteur juridique au ministère de justice du Manitoba, directeur du Centre Joseph Dubuc, directeur général du Secrétariat aux affaires francophones à titre de conseiller auprès du ministre responsable des Affaires francophones, représentant du Commissaire aux langues officielles au Canada pour la région du Manitoba et de la Saskatchewan et finalement, comme directeur général de l’AJEFM.

 

Me Guy Jourdain s’est entretenu tout récemment avec Kate Kabangu Mputu à l’émission Parlons droit d’Infojustice Manitoba. Voici des extraits de cette entrevue dans laquelle il parle de sa carrière et de sa décision de quitter son poste à l’AJEFM.

Pour écouter l’entrevue au complet, cliquer ici.

 

Guy Jourdain : J’ai grandi à une époque où on parlait beaucoup de questions de survie et de l’épanouissement francophone partout au Canada et en particulier au Québec, parce que je suis d’origine québécoise. Alors, quand j’ai grandi on parlait de la Loi 22, de la Loi 101 au Québec, de la loi sur les langues officielles au niveau fédéral, donc j’ai baigné là-dedans pendant mon enfance et mon adolescence. J’ai aussi une facilité pour les langues. Il y a plusieurs personnes dans ma famille qui sont traducteurs, des linguistes, des rédacteurs.

J’ai fait mes études en droit. Je suis juriste de formation. Mais j’ai une passion vraiment prononcée pour la langue. À la fois la langue française et la langue anglaise. C’est ce qui a guidé mon parcours pendant les 30 quelques dernières années

Je suis membre du barreau du Québec, mais paradoxalement, je n’ai jamais pratiqué le droit au Québec. J’ai passé toute ma vie professionnelle ici au Manitoba. Quand je suis venu au Manitoba je me suis dit qu’il faudrait que j’exerce véritablement le droit dans les tranchées. J’ai fait mon stage dans un cabinet au centre-ville et j’ai même fondé mon propre cabinet avec d’autres avocats à Saint-Boniface sur le boulevard Provencher. J’ai fait ça pendant quelques années puis je me suis rendu compte que la pratique privée ce n’était pas pour moi. C’est à ce moment-là que je suis allé vers l’enseignement.

 

Kate Kabangu Mputu : Qu’est-ce qui vous a motivé à venir au Manitoba?

GJ : C’est une combinaison de facteurs. Quand j’étais étudiant, j’avais participé à un programme échange de Parcs Canada. J’avais travaillé dans les parcs nationaux ici au Manitoba. J’ai travaillé 2 ans à Riding Mountain et 3 ans à Lower Fort Garry. Et j’ai vécu dans une situation d’immersion anglaise complète. C’est ce qui m’a permis de perfectionner mon anglais.

Puis, lorsque j’ai terminé mes études en droit en 82-83, il y avait une mini récession et le taux de chômage au Québec était très élevé. C’était très difficile pour les jeunes diplômés en droit de trouver des postes. Et à ce moment-là au Manitoba, c’était tout de suite après l’affaire Forest, la fameuse décision de la Cour suprême du Canada en 79 qui avait rétabli le statut officiel du français au niveau législatif alors le gouvernement provincial à l’époque faisait des campagnes de recrutement à l’échelle nationale, publiait des annonces dans les journaux au Québec.

À un moment donné, j’ai vu une annonce dans le Devoir et je me suis dit, si la langue m’intéresse et je connais le Manitoba, j’ai déjà des liens au Manitoba, je vais postuler et j’ai été choisi. Je suis venu m’installer ici tout de suite après l’école du barreau. Je suis venu m’installer comme traducteur juridique. Et j’ai trouvé la femme de ma vie ici. De fil en aiguille, je suis resté et nous voilà 35 ans plus tard. Je suis franco-manitobain d’adoption.

 

KKM : Votre carrière a été marquée par votre amour du droit en français, mais aussi votre engagement à l’épanouissement de la communauté francophone.

GJ : Jusqu’à environ 2000-2001, je travaillais du côté communautaire. Je portais deux chapeaux. J’étais directeur de l’Institut Joseph-Dubuc puis j’étais coordonnateur de l’AJEFM. J’adorais ce travail-là. J’aimais vraiment beaucoup ça. Mais il y a une occasion tout à fait exceptionnelle qui s’est présentée, le poste de directeur général du Secrétariat aux affaires francophones. Ça s’est ouvert au gouvernement provincial. J’ai fait ça pendant 12 ans. J’ai beaucoup aimé ce poste-là.

En 2012, je suis retourné à la traduction juridique et par la suite au Commissariat aux langues officielles. Et puis finalement le poste de direction générale à l’AJEFM en 2018. Alors j’ai bouclé la boucle. Je suis retourné à mes premières amours et ça fera bientôt 3 ans que je suis à l’AJEFM. J’ai beaucoup aimé mon séjour au sein de l’Association pendant les 3 dernières années.

 

KKM : Pour ceux qui ne connaissent pas l’AJEFM, quel est le mandat de l’Association?

GJ : L’AJEFM a été créé en 1988. Pendant au moins 25 ans, l’AJEFM faisait principalement de la revendication politique pour favoriser un meilleur accès à la justice en français. Et en parallèle à cette revendication politique il y avait du travail de vulgarisation juridique. On organisait des ateliers pour le grand public sur des thèmes juridiques.

 

KKM : Quelles sortes de revendications politiques?

GJ : Par exemple, au Centre Lavérendrye, sur la rue Des Meurons, il y a un palais de justice depuis 4-5 ans. Ce palais de justice-là était situé sur le boulevard Provencher. Malheureusement, la gamme de servies qui est offerte est très étroite. On pense qu’avec l’afflux d’un grand nombre d’immigrants francophones, qu’il y a une masse critique de clientèle pour que le ministère de la Justice, que les tribunaux offrent un plus grand nombre de services. On a eu des discussions avec les juges en chef de la Cour d’appel, de la Cour du banc de la reine et de la cour provinciale, on a formé un groupe de travail et on élabore actuellement des propositions. J’ai bon espoir que d’ici quelques mois ça va déboucher sur une plus grande gamme de services.

Un autre exemple plus récent c’est qu’on a communiqué encore une fois avec les juges en chef des trois tribunaux pour demander que lorsque les avocats citent des lois dans leur documentation, leurs mémoires, etc., qu’ils citent les lois dans les deux langues officielles pour que les partis et les juges puissent tenir compte à la fois de la version française et de la version anglaise des lois.

 

KKM : En 2015, l’AJEFM a dû fermer les portes. Ça ne fait pas longtemps que vous avez repris vos activités.

GJ : En 2015, notre financement avait été coupé par le gouvernement Harper et on a été obligé de cesser nos activités. En 2018, on a décidé de reprendre. Une nouvelle équipe est entrée en poste, une équipe vraiment solide. Mais la grande différence par rapport à la période précédente, c’est qu’on a maintenant Infojustice Manitoba qui fait partie intégrante de l’AJEFM. Nos activités maintenant sont beaucoup plus axées sur les services d’information juridiques à l’intention d’un grand public francophone.

 

KKM : Ce public francophone est en pleine croissance.

GJ : Oui, notre public a beaucoup changé. Moi quand j’ai commencé dans le domaine, la communauté était une communauté très homogène, une communauté de souche canadienne-française . Maintenant, on a des francophones de pays partout dans le monde. Ce sont des bilingues, des trilingues, ce sont des polyglottes, mais ils ne parlent pas anglais. Et lorsqu’il est question de leur offrir des services gouvernementaux, des services dans le domaine de la justice, la langue qui s’impose, c’est le français. Ça veut dire qu’on a une plus grande population francophone et aussi une plus grande masse critique de gens qui ne parlent pas anglais et qui ont absolument besoin de services en français.

 

KKM : Quels sont les plus grands défis par rapport à cet enjeu?

GJ : Malheureusement, il y a un vacuum de professionnels du droit bilingues dans les domaines où les besoins sont les plus pressants, par exemple, dans le domaine du droit de la famille et dans le domaine du droit pénal. Il va falloir qu’on occupe cette place parce qu’il y a un vide. Ce qu’il faut faire à l’AJEFM c’est cultiver de nouvelles vocations, cultiver une relève.

En ce moment, on offre des stages chaque année, et on accueille aussi des étudiants et des étudiantes en droit de l’Université du Manitoba qui travaille chez nous pendant l’été et pendant l’année universitaire et qui ont l’occasion de rencontrer des clients et des clientes qui ont des problèmes en matière de droit de la famille. Donc on cultive cette relève. Mais ça va prendre au moins 4 ou 5 ans pour bâtir une masse critique d’avocats et d’avocates qui ont des compétences en droit de la famille, qui ont des compétences du point de vue de la langue en français et en anglais, mais qui ont aussi des compétences du point de vue des différences interculturelles.

 

KKM : IL reste beaucoup de plain sur la planche. Pourquoi avez-vous choisi ce moment pour entreprendre la retraite?

GJ : Je suis dans la soixantaine. Je veux passer à autre chose. Mais je demeure passionné par le mandat de l’AJEFM et je suis sûr que je vais continuer à entretenir des liens étroits avec l’AJEFM.

Mon objectif principal était de redonner une nouvelle vie à l’AJEFM pour permettre à l’organisme d’atteindre sa vitesse de croisière. Et je pense en toute modestie, en toute humilité, avoir atteint ces objectifs. De fait, je suis très satisfait des progrès qui ont eu lieu durant les trois dernières années.

Pour écouter l’entrevue au complet à l’émission Parlons droit, cliquer ici.

______________________________________________________________________________________________________

IMPORTANT! Infojustice Manitoba n’est pas autorisé à offrir des avis juridiques. Il est conseillé de consulter un avocat afin de connaître les règles qui s'appliquent à votre situation particulière.