Professeure et ancienne doyenne à la Faculté de droit à l’Université du Manitoba, Me Lorna Turnbull a fait des études à l’École internationale de Genève en Suisse avant de compléter son baccalauréat en droit à l’Université d’Ottawa. Elle détient un doctorat de l’Université de Columbia à New York où son intérêt pour l’enseignement du droit s’est approfondi.
Me Turnbull a reçu de nombreux prix pour l’excellence de son enseignement, notamment, le University of Manitoba Student Recognition Award, une reconnaissance de ses paires.
Voici des extraits de son entrevue à l’émission Parlons droit, diffusée sur les ondes d’Envol 91. Il a d’abord été question de la rentrée scolaire en cette période de pandémie.
Pour la version intégrale de son entrevue à Parlons droit, cliquer ici.
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Q : Comment se passe le retour aux classes cette année?
Le plan pour l’instant c’est qu’au mois de janvier on va tenir les classes en présentiel quand les nombres ne sont pas trop grands. Je vais enseigner le droit de la famille en français. Pour l’instant, j’ai 9 étudiants, alors nous serons tous ensemble dans une salle de classe. Mais pour mon cours de première année qui compte plus de 100 étudiants, on va rester en format virtuel toute l’année.
Q : Comment ce mode virtuel a-t-il changé la façon dont vous enseignez?
C’est une très bonne question. D’un côté, il y a le professeur, et de l’autre côté il y a les étudiants. De chaque côté il y des avantages et des désavantages. L’année passée, j’avais une classe de première année de plus de 100 étudiants. Je me sentais mal équipée et j’avais peur que ce ne soit pas facile d’éviter qu’ils s’ennuient ou soient distraits ou qu’ils jouent des jeux sur leur ordi.
Mais en anglais on dit « Necessity is the mother of invention », alors quand on est coincé, on devient un peu créatif pour trouver d’autres façons de faire.
Nous avons fait un balado, un podcast… quelque chose qu’ils pouvaient tout simplement écouter s’ils étaient au parc avec leurs enfants ou en train de faire une promenade ou même la vaisselle. Ça leur a permis d’éviter de s’assoir devant un ordi pour des heures et des heures. Un étudiant qui avait des enfants par exemple, ou qui avait un emploi qui exigeait des heures fixes, pouvait quand même écouter le balado de mon cours, en soirée. Et il gagnait du temps perdu à se déplacer de sa maison à l’université.
Il y a eu aussi un accès à la formation pour les étudiants qui n’existait pas avant. J’avais des étudiants en Afrique pour un des cours que j’offrais et puis un étudiant qui était à Vancouver.
Mais pour moi c’est fondamental qu’on revienne dans la salle de classe où on peut interagir en personne. Le processus d’apprentissage dans le domaine du droit c’est vraiment un processus social. Et justement, pour les étudiants de première année c’était pire parce qu’ils n’avaient pas de relations sociales déjà établies. On a créé des petits groupes de 10-12 personnes pendant le premier trimestre. Le 2e trimestre on a créé des équipes encore plus petites de 4 personnes. Les étudiants nous ont dit à la fin de l’année que si ces équipes de 4 personnes avaient été créées au mois de septembre, ça les aurait aidés à établir des liens plus étroits et ils auraient bénéficié d’un appui social entre les personnes qui vivaient les mêmes expériences. Et c’est vrai même quand il n’y a pas de pandémies.
Q : Avez-vous remarqué des effets plus négatifs pour les étudiants de première année?
Je ne crois pas que tout le monde a échappé aux impacts de la pandémie du côté de la santé mentale. Nous avons abordé la question de la santé mentale en parlant des principes d’éthique des avocats. Un avocat doit toujours être compétent et ce qui peut nuire à sa compétence c’est quand on n’est pas en pleine santé mentale. C’est important pour un avocat qui sert un client, souvent dans une situation de traumatisme, de difficultés, de situations affreuses de sécurité ou de violence, qu’il ou elle soit en bonne santé. Est-ce qu’on est épuisé? Est-ce qu’on est arrivé à un point où il faut prendre un recul? On en parle à nos étudiants presque dès le premier jour pour que ce soit intégré à leur identité personnelle et parce qu’on reconnait que le stress élevé et constant créé par la pandémie a un impact sur la santé mentale.
Q : La Faculté de droit de l’Université du Manitoba offre des cours en français depuis une dizaine d’années. Et l’offre augmente.
Je suis très contente de dire que cette année on a mis en place tous les cours nécessaires pour proposer au Sénat de l’Université du Manitoba d’offrir un certificat qui va permettre aux étudiants de faire 26 crédits de leur diplôme en droit en français. C’est presque le tiers de leurs cours. On veut qu’ils puissent avoir l’expérience d’un climat d’apprentissage qui a lieu en français avec des collègues qui sont en train d’apprendre avec eux en français, avec un lien dans la communauté avec les avocats francophones. (Lire plus)
Je me croise les doigts que ça va être accepté par le Sénat cet automne et donc que ça pourrait être mis en place d’ici l’année prochaine.
Q : Qu’est-ce qui a motivé la Faculté de droit à augmenter l’offre de services juridiques en français?
La communauté avait exprimé un besoin important. Au Canada il n’existait que deux facultés de droit qui offraient le programme en common law en français. À Moncton et à Ottawa.
Mon collègue Gerald Heckman voulait voir s’il y avait possibilité de faire quelque chose. On a commencé avec un cours de droit linguistique, offert dans les deux langues. Puis, on a fait une demande auprès de Justice Canada pour du financement pour soutenir nos efforts. Depuis 2011, nous avons reçu environ 1,5 million de dollars en appui financier. Ensuite, on a commencé à offrir un cours de français juridique. La question de vocabulaire juridique dans les deux langues est très importante.
Cette année, j’enseigne un cours de première année qui s’appelle Méthodes juridiques, un cours qu’on offre d’habitude en anglais. Mais on a de plus en plus d’étudiants qui suivent le cours en français. Ça fait partie de leur préparation en vue d’autres cours en français en 2e et 3e années pour développer leur capacité de desservir la population francophone ici au Manitoba et partout au pays.
J’enseigne aussi pour la première fois le cours de droit de la famille en français. C’est un cours fondamental.
Dans les facultés de droit, le droit de la famille a une réputation d’être un domaine à part ou spécial. Mais pour une personne qui se trouve dans une situation difficile, c’est le domaine le plus important dans leur vie. Soit c’est une question de relations entre des personnes qui se sont mariées ou qui habitaient ensemble depuis des années. Même s’ils n’ont pas d’enfant, ils ont créé une vie ensemble. Et maintenant, ils veulent démêler tout ça. Il y a tout un domaine de droit qui touche à ces questions-là. C’est très important. Encore plus s’il y a des enfants.
Q : Quel type d’étudiant ce programme attire-t-il?
Les étudiants qui ont un français assez avancé, ou qui ont fait leurs études en immersion donc des anglophones pour qui le français n’est pas une première langue.
Les étudiants peuvent suivre des cours en français dans leur première année qui ne sont pas notés. C’est une réussite ou un échec. Ça permet aux étudiants de gagner un peu de confiance.
Notre programme bilingue ouvre les yeux des autres étudiants qui ne sont pas capables de suivre ces cours en français. Il souligne la place du bilinguisme canadien dans le domaine juridique. Au niveau fédéral c’est complètement dans les deux langues officielles. Dans quelques provinces, y inclut le Manitoba, les personnes ont le droit d’être entendues devant un tribunal en français ou dans la langue de leur choix.
C’est important de souligner pour les étudiants qui ne parlent que l’anglais ou d’autres langues que le français l’importance des deux langues.
Vous pouvez écouter le reste de l’entretien de Me Turnbull à l’émission Parlons Droit dans laquelle elle exprime sa grande admiration pour une figure géante dans le monde juridique, l’ancienne juge de la Cour Suprême du Canada, Rosalie Abella. Écouter ICI. L’extrait commence à 38:13