Me John Myers, avocat au sein du cabinet Taylor McCaffrey LLP de Winnipeg, oeuvre principalement dans les domaines de la protection et de l’application de la propriété intellectuelle. Avec son équipe il a plaidé des causes devant les cours du Manitoba, de l’Ontario, de la CB, devant la Cour Suprême du Canada, la cour fédérale et la cour d’appel fédérale

En 2017, il a reçu le Prix Richard J Scott pour sa contribution à la défense des droits des personnes avec un handicap physique. Dans le cadre de ses activités de plaidoyer, John Myers a représenté des familles dans trois causes portant sur l’aide médicale à mourir (AMD) au Manitoba.

Me Myers s’est entretenu récemment avec l’équipe de l’émission Parlons droit sur ce sujet et l’évolution de l’aide médicale à mourir au Canada. L’essentiel de son entrevue de trouve dans le texte ci-dessous. Cliquer ICI pour l’écouter dans son intégralité à l’émission Parlons droit.

 

Q : Par où faut-il commencer pour comprendre l’évolution de l’aide médicale à mourir au Canada?

Me Myers

On doit commencer avec la cause de Sue Rodriguez, une citoyenne de Victoria. Elle avait la maladie de la SLA, la sclérose latérale amyotrophique. Elle n’était pas prête à mourir. Elle voulait continuer à vivre, mais elle voulait avoir l’aide d’un médecin pour l’aider à mourir quand elle serait prête. Son problème c’est quand elle serait prête, elle ne serait plus capable de le faire elle-même. Elle ne serait même pas capable de prendre des pilules et un verre d’eau sans avoir l’aide de quelqu’un.

À ce moment-là, le Code criminel, section 241 A et B, interdisait qu’une personne puisse conseiller ou aider quelqu’un d’autre à se donner la mort. La loi à ce temps-là c’était qu’on pouvait se suicider — ce n’était pas contre le Code criminel. Mais c’était défendu d’aider quelqu’un à le faire.

En septembre 1993, la Cour suprême du Canada a entendu la cause de Mme Rodriguez. Et dans sa décision, une décision 5 à 4, la Cour a déclaré que la société canadienne n’était pas prête à accepter l’aide médicale à mourir. Dans la cause de Mme Rodriguez, les avocats voulaient que la Cour suprême déclare inconstitutionnelle la section du Code criminel qui défendait d’aider quelqu’un à mourir. En même temps, il y avait beaucoup d’organisations qui représentaient les personnes avec des défis physiques et mentaux. Ils ne voulaient pas que la Cour prenne cette position très controversée.

À l’époque, il n’y avait pas de consensus comme il y en a aujourd’hui dans notre société pour permettre un changement de ce genre à la loi.

C’est un peu surprenant, mais ça a pris 22 ans avant qu’une nouvelle cause soit présentée devant la Cour suprême du Canada. C’était la cause Carter. Deux citoyennes, Kay Carter et Gloria Taylor, ont amené leur cause devant la Cour suprême. Et le 6 février 2015, la Cour a établi un droit sous l’article 7 de la Charte des droits et libertés selon lequel les citoyens et citoyennes canadiens ont le droit à une mort assistée par un professionnel médical, soit un médecin ou une infirmière-praticienne, qui peut offrir ce service en suivant certains critères.

La Cour a donné au Parlement douze mois pour trouver une solution législative pour permettre l’aide médicale à mourir. C’est comme ça qu’on en est arrivé à la Loi C-14 en 2016.

Dans la cause Carter, il y avait vraiment trois critères. Premièrement, la personne doit être adulte. Deuxièmement, la personne doit être en mesure de donner son consentement clair. Et troisièmement, la personne doit souffrir d’un problème de santé grave et irrémédiable, y compris une infection, une maladie ou un handicap lui causant des souffrances persistantes et intolérables. Il convient d’ajouter que le terme irrémédiable ne signifie pas que le patient doit subir des traitements qu’il juge inacceptables.

Il est important de noter que ce n’était pas un des critères que la mort naturelle de la personne soit raisonnablement prévisible. Ça a été une question très contentieuse.

La Cour a suspendu la décision pendant douze mois et le gouvernement Harper n’a pas réussi à avoir un projet de loi avant l’élection générale en octobre 2015. Le gouvernement Trudeau a demandé à la Cour suprême de lui donner une extension. La cour lui a donné une extension de quatre mois entre le 6 février et le 6 juin 2016.

Durant cette période, la Cour a décidé qu’une personne qui était capable de démontrer qu’elle était en conformité avec les trois critères Carter, pouvait recevoir l’aide médicale à mourir.

Alors ça a été un temps très intéressant dans le domaine du droit au Canada. Durant ces quatre mois, 31 citoyens et citoyennes sont allés à la Cour supérieure dans leur province pour démontrer qu’ils étaient en conformité avec les critères Carter. Et ils ont reçu une ordonnance qui essentiellement permettait aux médecins d’aider ces personnes sans qu’il y ait des conséquences au niveau du Code criminel.

Durant cette période, j’ai eu le privilège, avec ma collègue Allison Fenske, de représenter les trois personnes du Manitoba qui ont reçu l’aide médicale à mourir. Ça été une période intensive parce qu’il n’y avait pas de précédent.

Dans les trois causes, on avait des personnes avec des maladies chroniques. Et dans deux des trois cas, la mort était raisonnablement prévisible. Dans un cas, dans quelques semaines, dans un autre cas, dans quelques mois. Nous avons créé tout le matériel pour la Cour. On avait les gens de la radio, de la télévision et des journaux dans la Cour avec nous parce que c’était quelque chose de très nouveau au Canada. La première ordonnance au Manitoba, la 2e seulement au Canada, a été donnée par le juge en chef, Glenn Joyal, en mars 2016.

Ça a été une période intense dans ma pratique de droit. Depuis ce temps-là, je suis toujours en contact avec leurs familles. C’est des gens qui sont devenus ma famille dans un temps très difficile pour eux. Ça a été très satisfaisant pour moi de les aider dans cette situation.

Un des facteurs très importants dans deux des trois causes, c’est que la personne en question était à veille de perdre sa capacité de consentir parce que les médicaments qu’elle prenait pouvaient affecter sa capacité de donner un consentement clair. Et, le consentement était un des critères les plus importants – être capable, jusqu’au dernier moment de la vie, de regarder le médecin et dire oui, je comprends tout ce qui se passe, je comprends qu’il y a d’autres options, mais je veux poursuivre mes droits, je veux mourir, et le médecin peut poursuivre la procédure.

Plusieurs personnes perdent leur capacité de consentir. Un des mécanismes de la loi C-7, c’est que s’il y a une entente auparavant avec l’équipe médicale, on peut recevoir l’aide médicale à mourir. Mais ça a pris 22 ans avant que la cour revisite ce point. Entre 2016 et 2021, il y a eu des changements très rapides dans ce domaine.

En 2016, la personne était obligée de déposer un avis de demande avec des déclarations sous serment de la famille et des médecins. Le travail de l’avocat était de s’assurer que la Cour était satisfaite que la personne était en conformité avec tous les critères et que l’équipe médicale avait aussi suivi toutes les démarches selon les critères établis par le Collège des médecins ici au Manitoba.

Le 17 juin 2016, nous avons reçu le projet de loi C-14 et à partir de ce moment-là, la loi sur l’aide médicale à mourir est devenue la loi du Canada. Le Québec avait déjà un projet de loi en place qui concernait l’aide médicale à mourir. C’était très semblable à ce qui été approuvé dans le projet de loi C-14. Le projet de loi C-14 a établi certains nouveaux critères et certaines nouvelles mesures de sauvegardes qui assurent que les gens vulnérables sont protégés, que les médecins ont des obligations d’expliquer toutes les autres options et qu’il faut deux évaluations de différents médecins.

Mais le projet de loi C-14 a laissé trois problèmes qu’il faut toujours régler. Qu’est-ce qu’on fait avec une personne de moins de 18 ans qui est capable de prendre des décisions médicales, ce qu’on appelle des mineurs matures? Deuxièmement, qu’est-ce qu’on fait avec les personnes où la maladie mentale est la seule condition médicale? Et troisièmement, qu’est-ce qu’on fait avec la personne qui veut donner une directive à sa famille d’avance? Par exemple, je me trouve dans une situation où je n’ai plus de qualité de vie, comme la démence ou la maladie d’Alzheimer, et je veux de l’aide à mourir même si je ne peux pas donner un consentement clair dans les derniers moments de ma vie.

Et puis, il y a le quatrième critère dans le régime C-14. Il y a des Canadiens qui se trouvent dans des situations où le 4e critère — que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible — devient un obstacle impossible pour eux.

Il y a deux causes importantes à souligner — une en Colombie-Britannique avec Julia Lamb et une autre cause au Québec, la cause Truchon-Gladu. Deux personnes, Nicole Gladu et Jean Truchon, avaient des conditions médicales où la mort naturelle n’était pas raisonnablement prévisible, des conditions médicales chroniques. C’était possible qu’ils vivent pendant des mois ou des années avec des conditions intolérables. Ils ont poursuivi une cause pour que ce critère de la Loi C-14 soit déclaré inconstitutionnel. Et en septembre 2019, Mme la juge Christine Beaudoin a déclaré que le critère était une violation de l’article 78 de la Charte. Elle a donné six mois au gouvernement du Canada pour régler la loi, mais elle a donné une exemption immédiate à Mme Gladu et M. Truchon pour qu’ils puissent mourir avec l’aide d’une équipe médicale.

Ce qui est intéressant c’est que le procureur général du Québec et celui du Canada ont accepté le jugement. Ils ont décidé de ne pas poursuivre leur cause devant la Cour d’appel du Canada. Le gouvernement du Canada devait donc trouver une solution législative en six mois. Ça leur a pris plus que six mois. Ils ont reçu des extensions et finalement, ils ont  créé le projet de loi C-7 qui est venu modifier la loi sur le droit à l’aide médicale à mourir.

Q : Après tous ces changements, quels sont les critères aujourd’hui?

Me Myers

C’est en 17 mars 2021 que le projet de loi C-7 a été modifié. C’est très récent. Ça comprend les nouveaux critères et les sauvegardes. La loi C-7 enlève le critère que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible. Et si la mort est raisonnablement prévisible, la personne doit donner un consentement clair à l’équipe médicale avant qu’elle n’ait plus la capacité de le faire. Le personnel médical, que ce soit un médecin ou une infirmière praticienne, peut donner le service. Il y a des sauvegardes additionnelles qui ont été ajoutées aux protocoles.

Dans le cas où une mort n’est pas raisonnablement prévisible, on a établi une période de 90 jours pour réfléchir et considérer d’autres options. Si une personne avec une souffrance intolérable ne veut pas subir des traitements, par exemple, la chimiothérapie, c’est à la discrétion des professionnels de raccourcir la période de réflexion. Si après 90 jours la personne veut encore poursuivre le processus, elle peut recevoir l’aide médicale à mourir.

Q : Qui sont les personnes qui peuvent offrir l’aide à mourir?

Me Myers

L’équipe médicale comprend des médecins avec une licence pour pratiquer au Manitoba, des infirmières — praticiennes, d’autres infirmières, des pharmaciens. Si la personne a des difficultés à communiquer oralement, des fois ça prend une orthophoniste qui peut traduire ce que la personne veut communiquer. Parfois, il y a des travailleurs sociaux qui travaillent avec la famille et la personne pour l’aider à considérer d’autres options.

Il y a une équipe bien intégrée au Manitoba. Nous sommes très chanceux au Manitoba. Dr Kim Wiebe et son équipe ont beaucoup d’expérience. C’est une tâche très difficile. Il y a beaucoup de personnes qui sont refusées parce qu’elles ne sont pas capables de démontrer qu’elles répondent aux critères établis dans les causes et par la loi.  Il y a des personnes qui sont allées à la Commission d’appel médicale du Manitoba pour se plaindre et demander que l’équipe médicale leur offre le service.

Le nouveau projet de loi C-7 a instauré une période de deux ans en ce qui a trait aux personnes qui souffrent d’une maladie mentale. En ce moment, elles ne peuvent pas recevoir l’aide médicale à mourir si c’est leur seule condition médicale. Mais en mars 2023, ces personnes seront admissibles à l’aide médicale à mourir. Ça donne à la profession médicale deux ans de plus pour établir les critères d’admissibilité.

C’est une décision très controversée. Il y a beaucoup de personnes qui vont trouver de nouveaux médicaments, de nouvelles drogues, une nouvelle approche. Moi je suis une personne optimiste. Je pense que plusieurs personnes peuvent retrouver une vie tolérable et satisfaisante. Avec la nouvelle loi, on verra bien ce qui va se passer en mars 2023 quand ces personnes auront accès au service.

Q : Est-ce que vous pensez que dans les prochaines années, l’aide médicale sera plus facile à obtenir?

Me Myers

Et bien, on sait que dans deux ans ce sera plus facile pour des personnes souffrant de maladies mentales.

Il y a des personnes chaque année qui reçoivent l’aide médicale à mourir. C’est quelque chose qui est en grande demande. La population vieillissante et les baby-boomers comme moi sont en train d’utiliser ce système.

Il va y avoir une cause en cour par un mineur mature, quelqu’un qui a 16 ans ou 17 ans, qui veut recevoir le service et qui va dire que c’est une forme de discrimination qu’il ne peut pas recevoir ce service avant d’avoir 18 ans. Je m’imagine qu’il va y avoir une cause sous la section 15 de la Charte sur cette question de discrimination.

Depuis les 5 dernières années, on a créé un système où c’est plus facile de quitter ce monde, mais je m’inquiète qu’on ne mette pas assez de ressources pour aider les gens qui veulent vivre une meilleure vie.

Ce qui me préoccupe le plus c’est que je ne veux pas que la société ne fasse rien pour améliorer la qualité de vie des nombreuses personnes qui doivent vivre avec des déficiences physiques et des défis de développement mental. Est-ce qu’on leur donne de bons services médicaux? Est-ce qu’on leur donne de bons services de réadaptation? Est-ce qu’on peut leur trouver du logement abordable? Qu’est-ce qu’on fait pour intégrer ces personnes dans notre société pour leur donner une meilleure qualité de vie et les libérer des institutions?

Moi j’aimerais qu’on trouve des façons de les encourager à vivre plutôt que de mourir. La vie est tellement mieux quand on investit dans ces personnes. Et j’ai peur qu’il y a des personnes qui vont choisir de mourir avant leur temps parce que nous n’avons pas fait assez pour eux.

C’est pour ça qu’on a des avocats qui sont prêts à travailler dans l’intérêt public pour entreprendre des causes constitutionnelles et demander aux gouvernements de faire mieux pour notre société.

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Écoutez l’émission Parlons droit chaque deuxième mercredi du mois sur les ondes d’Envol ’91 FM.

 

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